Winter est le seul dauphin connu à avoir survécu à
la perte de sa queue. Cette femelle, qui s'est blessée dans une ligne
de pêche, vit maintenant dans un aquarium de Floride, où toute une
équipe de chercheurs bénévoles tente de lui fabriquer une prothèse.
Kevin Carroll, qui écume les États-Unis pour s'occuper
des cas les plus délicats d'amputation humaine, a ausculté le cétacé.
«J'ai pensé que je pourrais probablement lui poser une queue», confie
le vice-président du Groupe orthopédique Hanger.
Recréer ce puissant mécanisme de propulsion est un véritable défi auquel
s'attellent des spécialistes de divers horizons. «Nous avons mis en
place une équipe qui ne considère jamais "non" comme une réponse
valable», explique Mike Walsh, le vétérinaire de Winter, qui travaille
sur la santé des animaux aquatiques à l'Université de Floride. «Tant
qu'on essaie, on peut faire la différence».
Et ces inventions peuvent trouver des applications chez les humains aussi. Par exemple, Kevin Carroll a mis au point un film spécial pour adhérer au moignon du dauphin sans irriter sa peau sensible. Ce film, fait de gel, adhère par succion, comme un gant en latex sur la main d'un chirurgien. Et il a
permis de soulager les douleurs d'un aviateur américain qui a perdu ses
deux jambes et sa main droite en Irak. Auparavant, Brian Kolfage
souffrait beaucoup lorsqu'il tentait de marcher avec des prothèses.
«Winter l'a aidé et j'espère qu'elle en aidera beaucoup d'autres», confie Kevin Carroll.
Elle n'était qu'un dauphin de trois mois, frêle et déshydraté, lorsqu'elle a
été secourue en décembre 2005. Un pêcheur venait de la découvrir,
coincée dans la ligne d'un casier à crabes dans une lagune proche de
Cap Canaveral. Le sang du cétacé ne parvenait plus jusqu'à sa queue
lorsqu'il a été recueilli par l'aquarium de Clearwater (Floride).
Malgré les soins des employés, l'organe non irrigué est tombé petit
bout par petit bout.
Winter a donc appris à nager sans la queue, que les dauphins utilisent habituellement pour se propulser. Au grand étonnement de ses soigneurs, elle a mis au point pour se déplacer une combinaison de mouvements, entre les ondulations de l'alligator et le balayage du requin. Et elle s'aide de ses nageoires, que ses congénères n'utilisent que pour tourner ou ralentir.
Son style unique risque bien de lui causer des problèmes de dos. Winter courbe déjà sa colonne vertébrale en des angles contre nature. En guise de
rééducation, ses soigneurs lui font lever et baisser le moignon de
queue, de façon à ce que les bons muscles ne fondent pas.
Le vétérinaire Mike Walsh estime que si Winter nage chaque jour avec une
prothèse de queue, elle s'entretiendra mieux. Mais il est peu probable
qu'elle porte son appendice artificiel en permanence.
Fuji, un dauphin âgé vivant dans un aquarium japonais, porte une prothèse, mais partielle: il n'avait pas perdu toute sa queue. Chez Winter,
l'amputation s'est produite à la base de la queue.
Les soigneurs de la jeune femelle l'ont déjà habituée à porter le film de silicone sur son moignon et à bouger cette partie du corps de haut en bas, comme le font les dauphins normaux pour nager. Lorsque Winter sera prête, ils lui poseront une première prothèse. Ils commenceront par une petite
queue, qui offrira peu de résistance à l'eau.